Les blouses blanches remettent un mauvais bulletin au ministre de la Santé
Cette semaine, le personnel des hôpitaux est en action. Seize mois après le début de la pandémie, beaucoup de travailleuses et travailleurs sont épuisés, et la situation sur le terrain reste pénible. C'est la raison pour laquelle le front syndical a déposé un préavis de grève. Le PTB demande d'investir dans les soins de santé, d'engager au plus vite le personnel promis pour améliorer les conditions de travail, et de revaloriser l'ensemble du personnel.
PVDA
200 travailleurs des soins se sont rassemblés à l’hôpital Chirec à Etterbeek. Des délégations de plusieurs hôpitaux (St-Pierre, St-Anne, St-Rémy, etc.) ont rejoint l’action. À St-Jean et Erasme, les soignantes et soignants se sont mis en grève. À Liège, Charleroi et Mons, le personnel mène des actions cette semaine et continuera la semaine prochaine. La colère est grande. Revenons un peu en arrière pour comprendre d’où vient cette nouvelle vague de protestation.
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Après des années de lutte contre l’austérité, en juin 2020, le personnel hospitalier a arraché un Fonds Blouses Blanches. Le mois suivant, ils obtenaient une revalorisation salariale à hauteur de 500 millions d’euros et un budget supplémentaire de 100 millions pour améliorer les conditions de travail. Mais aujourd'hui, la colère reste forte dans les établissements. Pourquoi ? Parce que les budgets traînent à être mis en œuvre ou, pire, sont utilisés pour d’autres investissements. Résultat : sur le terrain, on ne voit pas d’amélioration des conditions de travail. « Malgré des mois de négociation, il n'y a toujours aucun accord pour améliorer les conditions de travail et les fins de carrière », avancent les organisations syndicales.
Une infirmière témoigne sur les réseaux sociaux : « Ce jeudi, je fais grève. C’est la première fois dans ma carrière professionnelle. J’hésitais mais ma journée au boulot les a effacées. Non, ce que nous avons vécu aujourd’hui n'est pas normal. Ce n'est pas normal d'être la seule infirmière pour la moitié d'un service avec des patients sous respirateur, alités, grabataires, avec des drains, des plaies, des soins. Non, ce n'est pas normal qu'une personne malade, angoissée, dépendante, ne nous voie que 15 minutes sur la journée, en coup de vent, puis retourne à sa solitude, car les visites ne sont pas acceptées. Non, ce n'est pas normal de dire : "Soit je fais les soins d'hygiène, soit leurs pansements, faire les deux n'est pas possible." Je me mets à leur place et j'ai honte. Du peu d'humanité. De la rapidité. Des oublis. Des erreurs. De l'ambiance. »
Les 400 millions du Fonds Blouses Blanches ne sont pas activés à temps. Certains employeurs prétextent une pénurie de personnel infirmier, alors que des aide-soignants et aide-logistiques seraient déjà d’un grand renfort et pourraient être engagés. Sans compter le manque de transparence récurrent : alors que les directions d’hôpital devraient s’appuyer sur les syndicats pour améliorer le bien-être du personnel, on refuse de leur fournir les chiffres et de les impliquer.
La course à la rentabilité pèse également : pour sortir leurs comptes du rouge, beaucoup d’hôpitaux surchargent les horaires, alors que le personnel a grand besoin de souffler. « On voit que les employeurs n’ont pas anticipé la situation, témoigne un délégué syndical. Les moyens du Fonds Blouses Blanches 2021 n’ont même pas encore été mobilisés. À certains endroits, l’argent est utilisé pour financer des projets qui étaient sur la table longtemps avant la crise. Tout ça donne l’impression que les employeurs peuvent faire ce qu’ils veulent, et qu’il n’y a aucun contrôle du gouvernement. Alors aujourd’hui, c’est grève, en front commun, et on remet de mauvais bulletins aux employeurs et au ministre. »
« Le pire, c’est le sentiment qu’après trois vagues covid, rien n'a changé », témoigne Chantal, infirmière à Erasme. Ça fait 38 ans que je travaille à l'hôpital et mon corps n’en peut plus. Si je suis toujours en colère, c'est qu’en 10 ans, j’ai vu fondre la majorité de nos acquis, surtout concernant les fins de carrière. La reconnaissance comme métier pénible… C’est fini. Les aménagements prévus après 20 ans de nuits… C’est fini aussi. Les aménagements de fin de carrière avec complément à partir de 55 ans… Terminés. Idem pour la prépension. J'ai 58 ans et là, c'est mon corps qui me dit… Fini. »
Et puis, il y a l’incompréhension de toute une partie du personnel : celles et ceux qui ne sont pas avantagés par le nouveau système de classification de fonctions IFIC. Aucune revalorisation n’est prévue pour elles et eux, malgré les promesses du gouvernement d’augmenter les salaires de 6 %. « Est-ce que parce qu’on a plus de quinze ans de carrière au compteur, ça signifie qu’on a fait moins d’efforts que les collègues ? », demande une infirmière. L’inquiétude est également très présente dans les hôpitaux publics, où les barèmes de départ sont plus élevés, et où un plus grand nombre de travailleurs risquent de se retrouver sur le carreau.
« Le milliard promis aux travailleurs de la santé ne peut faire oublier que c’est le double de ce montant qui a été économisé entre 2014 et 2019, réagit Sophie Merckx, députée PTB au Parlement fédéral. Je dis bien le double, soit deux milliards d’euros. Rien qu’en 2017, Maggie De Block a coupé 900 millions d’euros de budget, aux dépens du personnel et des patients. » Cela a fait des ravages dans les hôpitaux et en matière de politique sanitaire, comme on l’a bien vu avec la destruction des masques. Le milliard dégagé en 2020 est un premier pas, qui a redonné de l’espoir à bien des syndicalistes qui ont dû encaisser l’austérité année après année. »
« Soyons clair : ce n’est qu’un début, poursuit la députée de gauche. Frank Vandenbroucke, le ministre de la Santé, doit entendre la colère qui gronde aujourd’hui chez les travailleurs des hôpitaux. À court terme, le ministre doit faire en sorte que le milliard promis produise ses effets pour le personnel, sur le terrain, maintenant. Il doit également dégager le budget nécessaire pour que chaque travailleur du secteur obtienne une revalorisation. Il est hors de question de laisser une partie du personnel sur le carreau. Et puis, il faut passer à la vitesse supérieure pour remettre les patients et le personnel au centre des préoccupations : il faut refinancer les soins de santé, doubler rapidement le Fonds Blouses Blanches et adapter les normes d’encadrement (nombre d’infirmières par services) pour rendre aux soignants le temps de prendre (vraiment) soin des patients. »